Complément : Charles Baudelaire (1821-1867)
C'est un poète célèbre du XIXe siècle, souvent considéré comme un poète maudit. Cela signifie qu'il était souvent rejeté et incompris par la société. Baudelaire a mené une vie difficile. Dès son jeune âge, il a refusé de suivre les règles de la société. Il a vécu à Paris, fréquentant des artistes et des écrivains, mais il avait une vie pleine de problèmes. Ses œuvres, comme son recueil de poèmes Les Fleurs du mal (1857), ont choqué beaucoup de gens à l'époque parce qu’il parlait de sujets sombres comme la tristesse, la souffrance, et la beauté du mal. À cause de cela, il a été jugé et condamné pour immoralité, ce qui a renforcé son image de poète rejeté.
Souvent, pour s’amuser, les hommes d’équipage
Prennent des albatros, vastes oiseaux des mers,
Qui suivent, indolents compagnons de voyage,
Le navire glissant sur les gouffres amers.
*
A peine les ont-ils déposés sur les planches,
Que ces rois de l’azur[1], maladroits et honteux,
Laissent piteusement leurs grandes ailes blanches
Comme des avirons[2] traîner à côté d’eux.
*
Ce voyageur ailé, comme il est gauche et veule[3] !
Lui, naguère si beau, qu’il est comique et laid !
L’un agace son bec avec un brûle-gueule[4],
L’autre mime, en boitant, l’infirme qui volait !
*
Le Poète est semblable au prince des nuées[5]
Qui hante la tempête et se rit de l’archer ;
Exilé sur le sol au milieu des huées,
Ses ailes de géant l’empêchent de marcher.
Les Fleurs du mal, “L’Albatros”, 1861. Charles Baudelaire
[1] Le ciel.
[2] Des rames.
[3] Faible et lâche.
[4] Pipe à tuyau très court.
[5] Les cieux.
Étude de la première strophe
Question⚓
1) Où se déroule la scène ? Quels sont les acteurs du poème ? Que font les marins aux albatros ? Quel est leur motif ? Qui sont les “indolents compagnons de voyage” ? Que désignent “les gouffres amers”.
[1] Faible et lâche.
Solution⚓
La scène se déroule en mer, sur un navire. Les acteurs du poème sont les hommes d’équipage et les albatros. Ces derniers sont capturés par les matelots par cruauté “pour s’amuser”. Les gouffres amers désignent métaphoriquement la mer ou l’océan sur lequel vogue le navire. (propriétés communes : profondeur pour les gouffres / amertume, goût désagréable qui renvoie à l’eau salée).
Étude de la deuxième strophe
Question⚓
2) Où se trouvent désormais les albatros ? Comment sont-ils représentés ? Que dire du passage des cieux aux “planches” du navire ?
Solution⚓
Des cieux, leur domaine de prédilection, les albatros passent au bateau, espace où évoluent les marins. Leur représentation est ambivalente dans la mesure où, d’un côté, la métaphore “ces rois de l’azur” est éminemment méliorative, de l’autre, le groupe adjectival apposé “maladroits et honteux”, l’adverbe “piteusement” et la comparaison “comme des avirons” sont péjoratifs. Le passage des cieux aux planches marque la déchéance des albatros qui, majestueux dans les cieux, sont ridicules sur l’embarcation.
Étude de la troisième strophe
Question⚓
3) Combien y a-t-il d’albatros sur le navire ? Comment est-il décrit ? Que font les matelots avec l’albatros ? À quoi correspond le “mime” du marin ? Comment comprenez-vous ce vers : “L’un agace son bec avec un brûle-gueule”. Que pensez-vous de leur attitude ?
Solution⚓
- Dans une perspective de resserrement, pour préparer la comparaison avec le poète survenant à la strophe suivante, le pluriel laisse sa place au singulier ; le poète ne parle plus que d’un albatros. Description péjorative mettant en tension un passé glorieux et un présent risible avec l’antithèse : “Lui, naguère si beau, qu’il est comique et laid !” ou encore le vers 9 : “Ce voyageur ailé, comme il est gauche et veule[1]!”. On note la périphrase, positivement connotée et prolongeant les personnifications, mise en dislocation s’opposant aux attributs “gauche et veule” et la présence des deux adverbes exclamatifs “qu’” et “comme” qui rendent compte de la moquerie à la fois grossière et brutale des matelots. Le “mime” du marin imite la démarche embarrassée de l’animal sur le pont, alors que l’autre marin le maltraite et l’humilie avec sa pipe.
Étude de la quatrième strophe
Question⚓
4) À qui le “Poète” se compare-t-il ? Qui est le “prince des nuées” ? Si le ciel est l’élément de prédilection de l’albatros, quel est celui du poète ? Comment est-il traité “sur le sol au milieu des huées” ? Que désignent “Ses ailes de géant” ? Arrive-t-il à s’intégrer à la société ?
Solution⚓
Le poète se compare à l’albatros, le “prince des nuées”. Si le ciel est l’élément de prédilection du volatil, celui du poète est le monde de la création poétique, le monde est idées, de l’art et de l’écriture. Les “ailes de géant” désignent son génie créatif, artistique. À l’image de l’oiseau, le poète ne trouve pas sa place parmi les Hommes. Majestueux dans son art comme l’albatros dans le ciel, il est incapable de s’intégrer à la société et à la vie ordinaire.
Attention : A retenir
Dans L'Albatros de Charles Baudelaire, les marins capturent des albatros et les posent sur le pont du bateau. Dans le ciel, ces oiseaux sont grands et majestueux, mais sur le bateau, ils deviennent maladroits et ridicules. Cela montre qu'ils sont sortis de leur élément naturel et qu’une fois sur le pont, ils deviennent la cible des moqueries des marins. Dans la dernière strophe, Baudelaire compare l'albatros au poète. Comme l'albatros est à l'aise dans le ciel, le poète l'est dans son art. Mais, lorsqu'il se retrouve dans la société, il est incompris et rejeté, à l’image de l'albatros qui ne peut plus voler. La condition de l’albatros symbolise donc celle du poète maudit.