La description du Voreux

Le Voreux, à présent, sortait du rêve. Étienne, qui s'oubliait devant le brasier à chauffer ses pauvres mains saignantes, regardait, retrouvait chaque partie de la fosse[*], le hangar goudronné du criblage, le beffroi du puits, la vaste chambre de la machine d'extraction[*], la tourelle carrée de la pompe d'épuisement. Cette fosse, tassée au fond d'un creux, avec ses constructions trapues[*] de briques, dressant sa cheminée comme une corne menaçante, lui semblait avoir un air mauvais de bête goulue, accroupie là pour manger le monde. Tout en l'examinant, il songeait à lui, à son existence de vagabond[*], depuis huit jours qu'il cherchait une place ; il se revoyait dans son atelier du chemin de fer, giflant son chef, chassé de Lille, chassé de partout ; le samedi, il était arrivé à Marchiennes, où l'on disait qu'il y avait du travail, aux Forges ; et rien, ni aux Forges, ni chez Sonneville, il avait dû passer le dimanche caché sous les bois d'un chantier de charronnage[*], dont le surveillant venait de l'expulser, à deux heures de la nuit. Rien, plus un sou, pas même une croûte : qu'allait-il faire ainsi par les chemins, sans but, ne sachant seulement où s'abriter contre la bise ? Oui, c'était bien une fosse, les rares lanternes éclairaient le carreau, une porte brusquement ouverte lui avait permis d'entrevoir les foyers des générateurs, dans une clarté vive. Il s'expliquait jusqu'à l'échappement de la pompe, cette respiration grosse et longue, soufflant sans relâche, qui était comme l'haleine engorgée du monstre. [...]

Quand il eut repris son paquet, Étienne ne s'éloigna pas encore. Il sentait les rafales lui glacer le dos, pendant que sa poitrine brûlait, devant le grand feu. Peut-être, tout de même, ferait-il bien de s'adresser à la fosse : le vieux pouvait ne pas savoir ; puis, il se résignait, il accepterait n'importe quelle besogne[*]. Où aller et que devenir, à travers ce pays affamé par le chômage ? laisser derrière un mur sa carcasse de chien perdu ? Cependant, une hésitation le troublait, une peur du Voreux, au milieu de cette plaine rase, noyée sous une nuit si épaisse. À chaque bourrasque, le vent paraissait grandir, comme s'il eût soufflé d'un horizon sans cesse élargi. Aucune aube ne blanchissait dans le ciel mort, les hauts fourneaux seuls flambaient, ainsi que les fours à coke[*], ensanglantant les ténèbres, sans en éclairer l'inconnu. Et le Voreux, au fond de son trou, avec son tassement de bête méchante, s'écrasait davantage, respirait d'une haleine plus grosse et plus longue, l'air gêné par sa digestion pénible de chair humaine.

Question

1. Relève les images qui permettent de personnifier le Voreux.

Question

2. Relevez les expressions qui montrent la mine comme un enfer.

A retenir !

Dans cette description, la fosse du Voreux est personnifiée, comme un monstre ayant « des cornes » et dévorant de la « chair humaine ». Le paysage avec ses brasiers est rapproché de l'Enfer. Zola a montré que la révolution industrielle exploite l'homme, le dévore et qu'elle creuse l'écart entre les mineurs affamés et les bourgeois qui s'enrichissent. C'est une manière pour l'auteur de faire réfléchir sur la société de son époque. De montrer une analyse fine de la société de son époque : la lutte des classes. Le naturalisme : est un mouvement littéraire qui vise à analyser les relations entre les hommes, à les observer pour mieux les comprendre.

Le naturalisme est un mouvement littéraire (vers 1860-1890) qui prolonge le réalisme et qui s'attache à peindre la réalité en s'appuyant sur un travail minutieux de documentation et en s'inspirant notamment de la méthode expérimentale du physiologiste Claude Bernard (1813-1878). Le chef de file du naturalisme est Émile Zola. La doctrine naturaliste en résumé Déterminisme : l'homme est déterminé par son hérédité et par son environnement. Ainsi, la psychologie et le caractère des personnages peuvent s'expliquer par les « lois de l'hérédité ». L'importance de la documentation et la fidélité au réel : l'écrivain naturaliste se veut objectif et s'appuie sur une documentation précise des milieux sociaux et professionnels pour décrire la réalité le plus fidèlement possible. Le projet naturaliste a pour ambition de faire de la littérature une véritable science capable d'analyser la nature humaine et la société. Quelques procédés narratifs récurrents et caractéristiques du naturalisme L'importance donnée aux descriptions. Dans Le Roman expérimental, Zola définit la description comme « un état du milieu qui détermine et complète l'homme ». L'emploi du vocabulaire technique. La focalisation externe. Le discours indirect libre. etc.