Un besoin irrésistible de tuer

Vaincus, les mineurs ont repris le travail sans obtenir d'amélioration. Mais un anarchiste, Souvarine, sabote la mine qui s'effondre. Sous terre, trois mineurs sont piégés ensemble : Étienne, son rival Chaval et Catherine Maheu, dont Étienne est amoureux mais qui est en couple avec Chaval, bien qu'il la brutalise. Étienne a déjà failli tuer Chaval.

Une nouvelle journée s'achevait, et Chaval s'était assis près de Catherine, partageant avec elle sa dernière moitié de tartine. Elle mâchait les bouchées péniblement, il les lui faisait payer chacune d'une caresse, dans son entêtement de jaloux qui ne voulait pas mourir sans la ravoir, devant l'autre (Étienne). Épuisée, elle s'abandonnait. Mais, lorsqu'il tâcha de la prendre, elle se plaignit.

– Oh ! laisse, tu me casses les os.

Étienne, frémissant, avait posé son front contre les bois, pour ne pas voir. Il revint d'un bond, affolé. [...]

– Si tu ne la lâches pas, je t'étrangle !

Vivement, l'autre se mit debout, car il avait compris, au sifflement de la voix, que le camarade allait en finir. La mort leur semblait trop lente, il fallait que, tout de suite, l'un des deux cédât la place. C'était l'ancienne bataille qui recommençait, dans la terre où ils dormiraient bientôt côte à côte ; et ils avaient si peu d'espace, qu'ils ne pouvaient brandir leurs poings sans les écorcher.

– Méfie-toi, gronda Chaval. Cette fois, je te mange.

Étienne, à ce moment, devint fou. Ses yeux se noyèrent d'une vapeur rouge, sa gorge s'était congestionnée d'un flot de sang. Le besoin de tuer le prenait, irrésistible, un besoin physique, l'excitation sanguine d'une muqueuse qui détermine un violent accès de toux. Cela monta, éclata en dehors de sa volonté, sous la poussée de la lésion héréditaire. Il avait empoigné, dans le mur, une feuille de schiste[*], et il l'ébranlait, et il l'arrachait, très large, très lourde. Puis, à deux mains, avec une force décuplée, il l'abattit sur le crâne de Chaval.

Celui-ci n'eut pas le temps de sauter en arrière. Il tomba, la face broyée, le crâne fendu. La cervelle avait éclaboussé le toit de la galerie, un jet pourpre coulait de la plaie, pareil au jet continu d'une source. Tout de suite, il y eut une mare, où l'étoile fumeuse de la lampe se refléta. L'ombre envahissait ce caveau[*] muré, le corps semblait, par terre, la bosse noire d'un tas d'escaillage[*].

Et, penché, l'œil élargi, Étienne le regardait. C'était donc fait, il avait tué. Confusément, toutes ses luttes lui revenaient à la mémoire, cet inutile combat contre le poison qui dormait dans ses muscles, l'alcool lentement accumulé de sa race. Pourtant, il n'était ivre que de faim, l'ivresse lointaine des parents avait suffi. Ses cheveux se dressaient devant l'horreur de ce meurtre, et malgré la révolte de son éducation, une allégresse faisait battre son cœur, la joie animale d'un appétit enfin satisfait.

ÉMILE ZOLA, Germinal, Partie VII, chapitre 5, 1885.

Question

1. Quels sont les éléments qui créent une tension maximale ? Pensez à la relation entre les 3 personnages, à la situation dans laquelle il se trouvent.

Question

2. Pourquoi peut-on dire que la mine n'est pas seulement un lieu réaliste, mais aussi un lieu symbolique ?

Question

3. Qu'est-ce qui déclenche la colère d'Etienne ?

Question

4. Dans le film comment cette scène est-elle traitée ?

Question

5. Le meurtre perpétré par Étienne est-il prémédité, réfléchi ? Justifiez.

BNF Manuscrits, Arbre Généalogique des Rougon Macquart

Question

6. En observant l'arbre généalogique des Rougon Macquart qui sont les personnages créés par Zola dans sa fresque littéraire, quelles sont les destinées d’Étienne, sa mère et son frère ?

Question

7. Selon le dernier paragraphe qui est responsable du meurtre ?

Question

8. Que pensez-vous de la vision exprimée à la fin de ce texte ? L'homme est-il libre et responsable de ses actes ?

A retenir

Le naturalisme poursuit les mêmes buts que le réalisme, mais s'en distingue par une approche scientifique plus expérimentale du récit. L'auteur dote ses personnages de caractéristiques, de gènes héréditaires, de qualités, mais aussi de tares[*], les place dans un certain milieu et observe ce qui se produit, comme un scientifique.

Zola place Étienne Lantier, fils d'une femme morte d'alcoolisme et d'un père, qui était l'amant de sa mère et l'a abandonnée à sa misère. Dans le milieu de la mine les misérables vont se débattre contre leur destin, la fin est tragique, mais elle apporte l'espoir d'un renouveau avec cette germination. Les grandes révolutions ont souvent des prémisses dramatiques.